Manchot Adélie : le marchand de cailloux

Maintenant que je commence à maîtriser un peu mieux la biologie du manchot Adélie, je vais, à mon tour, vous en faire part. Mais par où commencer ? Qui était là le premier : l'œuf ou le manchot ? Arbitrairement, je vais vous raconter ce que j'ai vu quand je suis arrivée...

Comme je vous l'ai déjà expliqué, les manchots sont des oiseaux qui passent l'année en mer, et qui viennent à terre pour se reproduire. La saison de reproduction du manchot Adélie s'étale d'octobre à février, durant l'été austral.

Quand nous avons débarqué à Dumont d'Urville, fin octobre, la plupart des manchots Adélie étaient déjà parmi nous, et la guerre des cailloux avait également déjà commencé. D'autres arrivaient encore et on pouvait les voir, en file indienne, marchant et sautant sur la banquise pour se répartir finalement sur les différentes îles de l'archipel. Et oui, la saison de reproduction pour les Adélies commence comme ça : une bonne grosse marche à pied.

Ensuite, une fois arrivé sur une colonie, le but est de trouver une bonne place pour faire son nid. Les manchots Adélie sont des oiseaux dit "fidèles au site de reproduction", ils reviennent d'une année sur l'autre dans la même colonie, au même endroit. Ceci est valable notamment pour les mâles qui arrivent avant les femelles et qui sont très fidèles à leur territoire. Pour ceux qui commencent leur toute première saison de reproduction, ils reviennent à la colonie où ils sont nés.

Alors voilà, une fois arrivé, et une fois son emplacement choisi, il faut faire son nid ! Le nid des manchots Adélie consiste à amasser un tas de cailloux... d'où la "guerre" dont je vous parlais. Tout est bon pour avoir le moindre petit gravillon : le piquer sournoisement à son voisin, se battre ouvertement, patauger dans la... euh... comment dire... boue ! Enfin bref...

Et hop ! Un caillou

Il faut également trouver un partenaire à la hauteur. Environ 60% des manchots Adélie sont fidèles à leur partenaire d'une année sur l'autre, mais il faut tout de même le reconquérir ! Alors ça parade dans les rangs : on lève la tête, bec au ciel, cou tendu et on bat doucement des ailerons, le tout accompagné d'un petit cri qui ressemble plutôt à un grognement.

Parade

Les manchots Adélie sont monogames, c'est à dire qu'ils n'ont qu'un seul partenaire durant une saison de reproduction. En effet, ils ne sont pas trop de deux pour couver et élever leur progéniture, donc pas la peine de penser aller voir ailleurs.

Encore un caillou

Enfin vient le jour de la ponte, deux semaines environ après la période de copulation. Cette année, le premier œuf d'Adélie a été aperçu le 10 novembre. La femelle, tout de suite après la ponte, repart en mer et laisse le soin à son mâle d'incuber les deux œufs. En mer, elle va se nourrir et reconstituer ses réserves qui lui serviront pour la suite de la saison. En effet, lorsqu'ils sont à terre, les manchots sont contraints de jeûner. Le mâle, lui, va encore attendre pendant 15 jours environ... jusqu'à ce que sa femelle revienne. Il peut ainsi perdre jusqu'à 40-45% de sa masse corporelle pour un jeûne pouvant aller jusqu'à 6 semaines !

Beau nid, bel oeuf

Lors du départ des femelles, un grand silence se met à régner dans les colonies. Plus personne ne parade, plus personne ne crie et les mâles restent stoïquement couchés sur leur nid, quoiqu'il arrive: vent, tempête, neige... ah non pas tout à fait stoïque : si l'occasion se présente, on peut encore piquer un caillou à son voisin ! Mais attention aux skuas qui guettent le moindre faux pas pour piquer à leur tour un œuf de manchot.

Après s'être refait une santé, les femelles viennent prendre la relève. Certaines vont retrouver leur mâle et leurs deux œufs... D'autres moins chanceuses ne retrouveront qu'un œuf, voir pas d'œuf du tout; d'autres encore ne retrouveront pas leur mâle. En effet, à bout de ses réserves, il aura préféré abandonner ses œufs plutôt que de courir le risque d'y laisser sa peau.

La relève vue du ciel

Et voilà... suite à cette première relève, pour les plus chanceux, s'ensuivront de nombreux va-et-vient entre le nid et la mer, jusqu'à l'éclosion des poussins et l'élevage des jeunes.

Je pourrais vous raconter la fin de l'histoire plus en détails, mais je n'en ai pas envie pour l'instant. Je ne l'ai lue que dans les livres et c'est moins rigolo. Vous attendrez, comme moi, la venue du poussin pour la connaître. Pour l'instant, on est dans la période où les femelles reviennent de leur premier voyage alimentaire, toutes belles, toutes propres, toutes grosses, alors que les mâles partent à leur tour se nourrir, tous maigres et tous crados !

Les poussins sont attendus d'ici une petite semaine pour les premiers !

Merci d'avoir suivi ce long discours !

A bientôt,

Marie

Ps : merci aux Marion pour leur petites infos supplémentaires, nécessaires à cet article ! !

Comments

[Matticus]

Oui, juste pour (re)dire que je te trouve très douée pour nous raconter ce que tu fais et, ici, la vie de ces manchots. Je t'admire beaucoup, continue!

A...pas tard! ;)

Matthieu

[RPM]

Merci Marie pour tes photos et ton commentaire. En fait tu as évidemment raison : cela commence TOUJOURS par une histoire de cailloux, mais heureusement que la vie survient ensuite !!!
Amitiés
RPM

[Moselle47]

on reste en haleine !!!
Quel conte bien ficelé où la tension et l'attention....nous tiennent....
Bravo pour les explications nous font se coucher un peu moins niais....Et nous permettent de bomber le torse, fiers désormais de nos connaissances, lorsqu'une pesonne de notre entourage aborde un sujet qu'elle connait moins que nous peut être.....grâce à toi...
Bisous Jean-Paul

[Alain AAEPF]

Toutes mes félicitations à la narratrice, qui sait nous faire passer en quelques phrases et quelques photos du didactique à l'émotiel.....nous attendons avec impatience les commentaires lors de l'éclosion des poussins.
Pour la petite histoire, j'avais observé le même "manège" en Argentine au sud de la Péninsule de Valdès...

Bizzzz

Alain

[Ervé]

Pour ta gouverne, le manchot était là avant l'oeuf qui était là avant le manchot qui était là avant l'oeuf qui était là avant le manchot qui était là avant l'oeuf qui était... C'est comme pour le calcul du nombre pi : on n'a jamais fini. Heureusement, les Adélie ne se posent pas la question, et ils couvent! Surveille-les attentivement, des fois qu'ils commencent à s'interroger...
Bizzz
Roger