Et pendant ce temps là… à 17 000 km de chez vous.
Jeudi 11 mars, 12ème jour d’hivernage.
On m’avait dit que l’hivernage n’avait rien à voir avec la campagne d’été. Les anciens, nos prédécesseurs et les gens qui avaient eu les témoignages d’autres personnes nous avaient prévenus. Je m’y attendais, mais pas de cette manière. Pas si rapidement.
La campagne d’été est rythmée par les rotations du bateau, le calendrier à respecter, les nouvelles têtes qui arrivent, les anciennes qui partent… nous sommes sans cesse dans l’attente finalement. L’hivernage c’est autre chose. On a du temps. On a le temps de poser et de réfléchir les choses. Après 2 petites semaines à 26, les personnalités se révèlent, les envies et les idées pour faire avancer la communauté vont bon train.
Et puis il y quelque chose de plus difficile à expliquer aussi. Mais je vais essayer. Nous prenons conscience petit à petit de notre privilège.
Nous regardons l’île des Pétrels se transformer de jour en jour. Nous regardons la neige recouvrir les cailloux comme si notre île commençait à se faire un manteau pour l’hiver à venir.
Nous sommes 26 par an à vivre un hiver en Terre Adélie. C’est indéniable, quand on dit Antarctique, on pense banquise, manchot empereur, aurore, nuit polaire….
Mais tout ça n’est qu’une partie de l’Antarctique, toutes ces choses ne sont associées qu’à l’hiver. Vous voyez où je veux en venir ? Quand on se regarde tous les 26, une complicité est là. Peu importe nos affinités, peu importe si on passe beaucoup de temps ensemble ou pas, nous sommes complices, par avance, de ce que l’on va partager tous ensemble.
Nico, Marion et JB attendant le léo
Nous avons un autre privilège. Le privilège de vivre complètement à l’écart de la société pendant 1 an. J’essaye de continuer à lire les informations françaises, savoir ce qu’il se passe à la maison. Vous allez peut-être être choqués, mais je n’arrive plus à comprendre ce qu’il se passe. Maintenant 4 mois ½ que je suis ici et je ne comprends pas pourquoi des nouvelles, que je trouve complètement futiles, se trouvent en première page du 20min. Vous allez être encore plus choqués après ça, mais… ma vie tourne ici autour des oiseaux, de la nature, des bergs qui vont, viennent et disparaissent au grès des courants, autour des gens qui partagent ça avec moi… comme je vous l’avais dit dans un autre article, il y a quelque temps déjà, on oublie que la vie continue ailleurs et c’est peut-être mieux comme ça.
Après avoir tenté de vous expliquer tout ça, je vais donc tout naturellement vous raconter nos nouvelles. Notre « 20 minutes » à nous.
Le premier manchot empereur est arrivé. Merci Jean-Baptiste pour ton œil de lynx !! Mais, pas d’affolement, ce n’est pas encore l’heure de la grande réunion, juste un premier empereur bien en avance. Un manchot déjà près à la reproduction, poussant des vocalises, bien campé sur ses pattes, sur un bout de glaçon; on dirait qu’il s’est trompé de jour, comme on arrive trop en avance à un entretien qu’on ne voudrait louper à aucun prix.
Les températures ont nettement diminué aussi. A 10h du matin il faisait -12°C (si j’ai bien écouté ce que m’a dit Didier-ridoo).
Les adultes de manchots Adélie sont revenus pour muer : changer leurs plumes. Ils effectuent cette mue chaque année à la même période. Ils ne peuvent plus durant ce temps retourner à l’eau (leur plumage n’est plus imperméable). Alors encore une fois ils jeûnent pour quelques semaines, ils vivent sur leurs réserves accumulées en mer.
Manchot Adélie en mue
Manchot Adélie en fin de mue
Les poussins de pétrels des neiges, damiers du cap et océanites de Wilson continuent à partir en masse.
Le gros berg « carapace » que j’aimais tant a disparu hier matin… je ne sais pas ce qu’il est devenu !
Joyeux 24 ans Adrien (notre chef informaticien) !!!
J’aurais encore mille choses à vous raconter. L’histoire du léopard des mers qui mange un manchot si près de nous qu’on entend claquer ses dents. L’histoire de notre « bébé banquise » qui essaye de se former contre vents et marées. L’histoire des phoques qui « jouent » dans l’eau à 2 mètres de nous. L’histoire des fulmars qui s’essayent au vol du haut de leur falaise. L’histoire de Marion qui m’emmène capturer des manchots Adélie, ou de mon équipe de vainqueurs qui m’aide justement à mesurer les poussins de fulmars dans la falaise…
Je pourrais vous raconter… comme quoi, sur une île de 500 m de long, on ne s’ennuie jamais.
Mont d'or et sa congère
Mont Rose et Hall fusée
Gros gros bisous à tous,
ET A PAS TARD comme dirait un certain Matticus !
Marie
PS : La TA60 a un blog à elle, autrement dit nous avons un blog commun, je vous donne l’adresse :
http://www.ipev.frwww.ipev.fr/pages/TerreAdelie/AccueilTA60.html
PS : Merci pour vos commentaires. J'aime beaucoup la citation de JBC !!!!