Pétrel géant, le timide
Quand vous aurez lu cet article, je vous aurai fait faire le tour de tous les oiseaux qui nichent l’été en Terre Adélie. J’aurai fini de vous présenter mes « histoires de piafs », du moins l’histoire des «oiseaux campagnards d’été» et il ne me restera qu’à finir par le seul hivernant : le manchot empereur. Mais là n’est pas la question pour le moment…
Le pétrel géant comme son nom l’indique est un représentant de la famille des pétrels. Et comme son nom l’indique encore, il est le plus gros représentant de cette famille avec une envergure pouvant atteindre les 2m10 pour une masse de 4 ou 5 kg environ. Pourtant, aussi imposant qu’il puisse l’être, c’est l’oiseau qu’on a le moins de chance de côtoyer à Pointe géologie.
En effet, depuis 4 ou 5 ans le pétrel géant a complètement déserté l’île des Pétrels où il restait encore jusque là 3 ou 4 nids. Situation assez cocasse, puisque l’île des Pétrels doit son nom, en premier lieu, à la présence du géant… Dans les années 60, environ 80 couples se reproduisaient à Pointe géologie entre l’île des Pétrels et l’île de Jean Rostand (située à 300 mètres de notre île). Dorénavant, on ne trouve qu’une petite quinzaine de couples, tous regroupés sur la face « cachée » de Rostand.
Le pétrel géant est un oiseau extrêmement sensible au dérangement humain. Notre présence sur l’île des Pétrels a été fatale : ce géant est trop timide pour pouvoir accepter toute cohabitation. Ainsi vous comprendrez aussi que l’île de Jean Rostand, classée comme les autres îles, d’Aire Spécialement Protégée de l’Antarctique, soit encore plus « surveillée » que les autres. Tant que le géant est sur son site de reproduction, toute excursion du côté de leur nid est interdite… et croyez-moi, j’y veille…
Toute excursion est interdite sauf une : le baguage des poussins. A partir de fin mars, les poussins sont assez grands (presque prêts à s’envoler) et les adultes peu nombreux. Dès que la banquise est assez solide et nous permet de nous rendre à Rostand à pied, nous passons quelques heures sur cette « face cachée ».
Je dis « nous » parce que j’emmène avec moi 2 volontaires. En effet, je me dois d’être le plus efficace et rapide possible, pour les déranger un minimum et j’ai donc besoin d’une aide précieuse.
Deux volontaires pour baguer les pétrels géants… pas besoin de faire beaucoup de publicité, des volontaires, j’en ai et bien plus qu’il ne m’en faudrait!!! Et je sais que certains crèvent d’envie, autant que moi, d’y aller. Mais je n’arrive pas à me résigner à faire un choix. Pour moi, ce n’est pas juste : la plupart des volontaires sont déjà venus me donner un coup de main sur le terrain, ils sont tous capables de m’aider, ils le méritent tous et savent tous à quoi s’attendre.
J’ai préféré laisser le hasard choisir. Pas de piston, pas de préférence… un tirage au sort.
Le hasard fait bien les choses, dit-on. Il faut croire qu’une fois de plus, il a bien fait son travail. Floriane et Benjamin ont été choisis par le hasard et la main « innocente » de Gillou. Finalement, je leur devais bien ça, aussi bien à l’un qu’à l’autre. La première étant venue souvent avec moi, sur le terrain et pas toujours dans les meilleures conditions. Le second étant une victime de mes « plans foireux ». Cette fois, Benji, je ne t’ai pas menti, je ne t’ai pas fait passer par les chemins de traverse !!!
Notre équipe de champions est donc partie sur Rostand lundi dernier, où nous avons trouvé 12 poussins à baguer. C’était exceptionnel. Ils sont impressionnants et approchent déjà les 2 mètres d’envergure. Ils ont une force incroyable dans les pattes. A notre approche, ils font face et ouvrent leur bec en grand, prêts à cracher. Mais comme pour les fulmars, ce n’est que de l’intimidation…
Poussin Pétrel géant (merci à benji pour la photo)
Poussin Pétrel géant
J’en entends déjà certains dire : « Ah qu’il est moche lui ! »… Son bec est fort, presque un peu disproportionné, je vous l’accorde ; comme tous les oiseaux de la famille des pétrels un tube nasal surmonte le haut de son bec, ce qui n’est peut-être pas très esthétique au goût de certains. Et puis sur le sol, il ressemble à un gros dodo se dandinant sur les cailloux, long cou, aile repliée, trop gros pour pouvoir décoller aisément…
Pétrel géant adulte (encore merci à benji)
Soyez indulgent.
Cet oiseau m’en rappelle un autre… l’Albatros… de Beaudelaire.
Le pétrel géant a cette faculté de nous faire changer nos préjugés. Tantôt vous le trouverez moche et cruel, charognard furetant dans la manchotière à la recherche d’un bout de viande. Puis il se fera oublier, pendant plusieurs semaines. Et un jour, un oiseau d’une envergure impressionnante passera à quelques mètres de vous et vous entendrez le vent souffler dans ses plumes. Vous le regarderez 10 minutes sans qu’il ne batte une seule fois des ailes, jouant avec les vents. Passant et repassant aux sommets des Monts des îles environnantes, il planera furtivement à côté de vous pour vous regarder et voir ce que vous faites.
En vol, cet oiseau est le maître. Même le skua, avec ces cabrioles aériennes, ne rivalise pas avec le géant. Et pourtant il est si vulnérable au sol qu’on a du mal à croire qu’on a affaire au même oiseau.
A croire que lui aussi, « ses ailes de géant l’empêchent de marcher »…
A bientôt,
Et bisous
Marie et Tidre (réconciliés)