Manchot Empereur … L’Hivernant
Oui, je sais, j’ai essayé de vous parler d’autre chose que des oiseaux, mais je ne peux pas m’empêcher de revenir sur le sujet. Les Empereurs occupent, en ce moment, une grande partie de ma journée et de mon esprit. Je vais donc finir avec mes « histoires de piaf » en vous parlant d’un des plus mythiques oiseaux au monde…
Le manchot Empereur est le seul être vivant à se reproduire pendant l’hiver antarctique et ceci contribue déjà à en faire une espèce tout à fait exceptionnelle. Je tenais à commencer par vous dire cela, de manière à ce que vous sachiez où vous venez de mettre les pieds.
Cet animal possède, de ce fait, des adaptations très originales à son mode de vie extrême. Mais je vais commencer par vous raconter les choses dans l’ordre…
Le manchot Empereur arrive sur son site de reproduction, vers la mi-mars, alors que toutes les autres espèces sont sur le départ. Des colonnes allant de quelques individus à plus d’une centaine se succèdent, sortant toutes de nulle part et ralliant un point unique que seuls les Empereurs semblent connaître. Il y a un rendez-vous, quelque part au fin fond de l’hiver Adélien… et nous sommes aux premières loges.
Ce qui est drôle c’est que ce rendez-vous a lieu au milieu de la banquise. Le manchot Empereur ne se reproduit pas comme les autres oiseaux, sur la terre ferme. Non. Son cycle de reproduction est étroitement lié aux conditions de glace de mer. Autrement dit : pas de banquise, pas d’empereur… vous voyez ce que je veux dire ?
Colonne d'arrivée sur le ventre
Une fois arrivé au point de ralliement, il faut trouver un partenaire pour la saison. Les conjoints seront fidèles tout au long du cycle mais la fidélité entre deux années est par contre très faible. Ceci s’explique : le manchot empereur n’a pas de territoire défini, comme le manchot Adélie par exemple. La manchotière est assez mobile tout au long du cycle et il est peut-être difficile pour un individu de retrouver son partenaire de l’année précédente dans cette mêlée et cette cacophonie de « piafs ». Et puis, le compte à rebours est lancé : il faut trouver un partenaire au plus vite. Cependant, rien n’est impossible !!! Certains manchots se retrouvent d’une année sur l’autre, parmi les 6000 autres individus et cela même pendant plusieurs années de suite… apparemment même chez les manchots on tente d’appliquer le dicton : « on ne change pas une équipe qui gagne ».
La manchotière est constituée à 40% de mâles contre 60% de femelles. Pas besoin de vous faire un dessin : ici les femelles s’arrachent les mâles (je parle des manchots évidemment). Alors, on chante, on se courbe, on adopte une démarche chaloupée pour séduire et on donne des coups de bec et des coups d’ailerons pour faire fuir un potentiel rival.
Formation des couples : on se toise et on se dispute un partenaire
Puis tout va s’enchaîner assez rapidement… et dès le début du mois de mai, la poche incubatrice des femelles n'est plus vide : un bel œuf, unique trône sur les pattes de l’Empereur, bien au chaud dans les replis de peau et de plumes. Mais les femelles vont très vite passer l’œuf à leur mâle et vont repartir en mer pour se nourrir.
En effet, depuis qu’ils sont arrivés, début mars pour certains, les manchots jeûnent et vivent donc sur leurs réserves accumulées en mer durant l’été austral. Les femelles vont être les premières à retourner se nourrir. Les mâles eux, vont devoir attendre la relève : le retour de leur femelle. Ce qu’il se passe, pendant ce temps-là, est assez incroyable. Contre vent, blizzard, neige et tempête les mâles vont rester là, le ventre vide et leur œuf sur leur pattes, perdant gramme après gramme, passant de près de 40kg à environ 25… oui, il vont perdre près de 50% de leur masse. Ils vont jeûner, en tout, presque 4 mois, la relève des femelles n’ayant lieu que fin juin, début juillet.
Pour ne pas perdre trop d’énergie à se réchauffer, ils vont employer un système assez ingénieux, qu’on appelle la tortue. Ils vont se coller les uns aux autres, tête rentrée, ce qui fait penser aux formations guerrière romaines : les tortues !! Ils vont pouvoir être jusqu’à 9 manchots au mètre carré et la température au centre de la formation va atteindre les 37°C… alors qu’à l’extérieur il fait, au mieux, -15°C ! Lorsqu’un manchot a trop chaud au milieu de la tortue, il va gagner la périphérie, laissant sa place à un autre et ainsi de suite. En fait, la tortue est en mouvement perpétuel : tout le monde tourne. Pour que vous
vous rendiez compte de l’importance des tortues, sachez qu’un manchot isolé ne survivrait pas.
Dès qu'il y a du blizzard, les manchots se mettent en "tortue"
Début juillet, les femelles vont revenir et vont trouver leur mâle avec leur œuf ou avec… un tout petit petit poussin nouvellement éclos !!! Mais vous allez me demander : Comment les femelles font pour retrouver leur mâle au milieu de cette cité manchote ? Pas à la vue, pas à l’odeur, mais à l’ouïe. Le chant d’un individu est unique (notre oreille a du mal à s’en rendre compte certes). Les partenaires ont appris avant leur séparation à reconnaître le chant de l’autre et c’est ainsi qu’ils se retrouvent. Génial non ?
Les femelles vont donc prendre le relais des mâles qui eux vont pouvoir aller manger, enfin. Le poussin va rester un mois sur les pattes de sa mère, le temps d’être indépendant thermiquement. Puis les femelles vont être relevées à leur tour…. Les allers retours entre la mer et la manchotière vont être de plus en plus rapide. Les poussins, eux, vont être capables de rester seuls (mais avec les autres !). Ils vont attendre que leurs parents se relaient pour leur amener de la nourriture. Ils vont, eux aussi, apprendre à reconnaître le chant de leurs parents pour ne pas être perdus parmi tous les autres manchots.
La vie de la manchotière va continuer ainsi pendant plusieurs mois…
Puis, un jour, on est déjà début décembre (oui ça passe vite). L’été austral est déjà là. La débâcle est proche. Il est temps pour nos poussins de perdre leur duvet pour prendre des plumes d’adultes. A la fin de leur mue, les parents vont arrêter de les nourrir. Les poussins sont obligés d’aller voir dans leur vrai élément ce qu’il se passe. Et non, on ne peut pas passer sa vie à dériver sur une plaque de glace ! Il faut prendre son courage à 2 pattes et partir à l’eau comme les grands. En mer, ils y resteront 5 ans, puis un beau jour de mars ils reviendront sur la banquise, en face de l’île des Pétrels, où ils sont nés. Et à leur tour, ils braveront l’hiver antarctique pour faire perdurer leur espèce…
Allez, moi je file les voir.
Bisous à tous,
Et à bientôt,
Marie