22 novembre 2012
Heureux qui comme Ulysse
Tout d'abord pardonnez ce silence.
Je sais bien que le temps perdu ne se rattrape pas; mais justement, le temps, c'est bien ce qui m'a
manqué ces 15 derniers jours et j'aurais volontiers rajouté quelques heures à mes journées...
Je comprends pourquoi ici il n'y a plus de nuit.
La nuit ?
Inutile ! Complètement futile ! Trop de choses à accomplir pendant la belle saison.
Pour exemple, voici tout ce que les autochtones doivent faire durant les 4 petits mois d'été.
D'abord il leur faut le temps d'arriver, et parfois de très loin. Les skuas par exemple reviennent du
Japon. Ils doivent ensuite s'installer, retrouver leur territoire, se battre pour cela. Ce qui est sûr c'est
que chacun y laisse des plumes !
Faire comprendre qui est le maître!
Puis ils doivent trouver ou retrouver leur partenaire. Pointe géologie à beau être un tout petit archipel,
pas facile de trouver son oiseau rare parmi tous ces drôles d'oiseaux : 3000 couples d'empereurs
(En France l'un de nos derniers empereurs a disparu en 1821 à Sainte Hélène, c'est dire si ça fait
beaucoup) ; 40 000 couples d'Adélie ; Plus de 1000 couples de pétrels de neiges ; 500 couples de
Damiers du Cap ; 60 couples de skuas, ; un nombre mystérieux de couples d'Océanites de Wilson ;
un nombre encore plus mystérieux d'hivernants bipèdes... et je vous passe les fulmars et autres
pétrels géants. Allez donc retrouver votre dulcinée dans ce grand rendez-vous estival.
" Je vous trouve très beau ! "
Et le travail est loin d'être terminé. Il faut faire son nid.
Chez les Adélie ça peut prendre un peu de temps. Certains ramènent fièrement à leur moitié de très
jolis cailloux très blancs, trop blancs même ! Pas facile de construire son nid quand on y ramène des
glaçons... A ce compte là, ça peut durer longtemps.
« Si je chope l'espèce de pingouin qui nous a encore volé tous nos cailloux blancs...»
« Calme toi, chéri. Mais je ne comprends pas. Les cailloux disparaissent subitement quand je couve et
je me retrouve avec de la flotte jusqu'aux chevilles; faudra changer de coin l'an prochain ».
Puis il faut copuler... ça ce n'est pas ce qui prends le plus de temps chez nos amis les oiseaux.
Pour finir, la suite infernale : pondre, couver, élever son ou ses poussins, faire de la garde alternée
pour manger tout en ramenant aussi de quoi nourrir la belle progéniture. Réussir à émanciper le petit.
Puis partir encore vers de nouveaux horizons et se promettre de revenir l'an prochain... Le tout en 4
mois. Alors forcément à ce rythme, la nuit on s'en passe. On fait du 24/24 nous.
Sans pour autant avoir les mêmes activités que nos amis les bêtes, notre planning est quasiment
aussi chargé. Voilà pourquoi, je n'ai pas trouvé le temps de vous écrire avant.
Cette saison, mon travail consiste à suivre 100 couples de manchots Adélie, que nous venons de
marquer préalablement, pour les reconnaître ; de noter la date de leur premier œuf, du deuxième,
la date d'éclosion... et d'équiper de GPS et d'enregistreurs de plongée, certains individus qui partent
en mer.
Mais pour cela, il faut savoir exactement quand ils partent; il faut surveiller de très près quand ils
reviennent pour récupérer le matériel et les données qui sont sur le dos de nos manchots.
Alors je note et je suis, à toute heure de la journée, l'histoire de mes manchots. J'y prends goût
comme on devient accroc à une série télévisée. J'attends à chaque fois le prochain épisode.
Et il y a bien trop d'histoires chez ces manchots pour que je vous les raconte toutes...
Une dernière chose. Je voulais vous parler de ce que j'ai ressentie en arrivant.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, quand le Tidrocopter nous a déposé sur la DZ et que je
suis entrée au séjour, j'ai eu l'impression d'être partie hier, rien de plus, et de revenir aussi
naturellement que lorsqu'on rentre de vacances.
J'ai repris les chemins du dortoir été et celui de biomar, aussi naturellement qu'avant. J'ai fait ce
chemin des centaines de fois et je connais les cailloux et les passerelles par cœur. Alors je me suis
dit :
« C'est tout ce que je ressens ? Mince ».
Puis... je les ai revu EUX. Là j'ai compris qu'ils m'avaient manqué bien plus encore que je ne le
pensais.
Je me suis rendue compte que j'avais une chance inouïe de les revoir. Une seconde chance. Alors,
je me suis promis d'en profiter encore plus.
Les animaux ici c'est tout simplement magique.
Puis il y a les milliers de petites choses qui sont dans notre tête.
Celles qui s'effacent progressivement avec le temps, celles qu'on exagère et celles qu'on oublie
carrément.
J'avais oublié qu'ici, à table, on retourne le dessous de plat et on y pose ses couverts pour
débarrasser.
J'avais exagéré le mauvais goût du café... finalement il se laisse boire.
J'avais sous-estimé les couleurs du soir et le silence sur la banquise.
Je me suis rappelée du joli chant des damiers.
Je n'ai jamais oublié ni le cri des pétrels des neiges ni celui des poussins empereurs...
Et jamais je n'aurais pensé,
revoir de mon petit village
Fumer la cheminée...
A bientôt,
Marie
Bonus !
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