Salut au grand Sud
Vous pourriez croire qu'il ne se passe pas grand chose dans la vie d'un bateau et de ses habitants plantés quelque part dans une infime partie du Grand Sud. Certes, parfois, on trouve le temps un peu long quand nous avançons d'un kilomètre et reculons de 2 dans la journée. Mais je crois aussi que dans ces moments là, on réapprend à observer ce que l'on ne voit pas au premier coup d'oeil; à regarder là où l'on pensait qu'il n'y avait rien. Et vous voulez que je vous raconte ce que j'ai vu ?
D'abord le continent. Il y a 4 jours environ, nous sommes arrivés près du continent. Cette fois, je savais ce que je cherchais dans mes jumelles. Je cherchais ce que j'avais pris pour un gros nuage blanc il y a 3 ans : l'énorme calotte glaciaire qui recouvre l'Antarctique se dessine à l'horizon. C'est ça le continent. Le Grand Sud est là, à quelques encablures.
Ensuite les icebergs. Difficile de les louper ceux là. Nous sommes arrivés au glacier Mertz qui se trouve à quelques centaines de kilomètres à l'Ouest Dumont d'Urville. Ce glacier vêle d'énormes iceberg tabulaires. Nous avons traversé un champ de ses géants qui ne comptaient absolument pas s'écarter de notre passage. Ils étaient là, posés probablement sur le fond et je me suis demandé depuis combien d'années ils étaient là. Combien de temps faut-il pour que la mer ronge un géant pareil et le réduise à l'état d'un minuscule petit glaçon. Vous le savez vous ?
Moi je n'en ai aucune idée...
Puis j'ai regardé la banquise. Elle me fascine. Il n'y a pas deux endroits qui se ressemblent. Bien sûr il y a la banquise épaisse. Les plaques qui s'affrontent, qui s'abiment entre elles. Les crêtes de compression, véritable chaos de glace qui sont les cicatrices de ses affrontements. Il y a la banquise cassante qui s'ouvre en une faille quand l'Astrolabe tape dedans, comme dans les tremblements de terre des films catastrophe. Puis il y a cette banquise que je ne saurais vraiment décrire. Celle couverte de neige, qui ne bouge pas quand l'Astro arrive. Celle qui stop net un bateau sur sa lancée et qui se transforme en une mélasse mouvante quand le bateau se recule. Il y a la banquise qui fait 1 mètre. Il y a des endroits qui en font 3 facile. L'autre fois, il y avait un mur d'au moins 4 ou 5 mètres à côté de nous.
Enfin, il y a la banquise que je préfère. Celle qui vient juste de se former. Celle qui n'a même pas une nuit. Une fine couche de glace transparente, un miroir. Au début, on ne voit même pas qu'elle est là puis on regarde de plus près. Et là on voit que la glace a enregistré tous les mouvements de la mer et les a figé net. La mer est figée, avec ses plis. C'est fantastique. L'autre soir je suis restée regarder un truc génial. Nous avançions dans un véritable canal, entre deux plaques de glace. La mer devant nous était recouverte d'un infime miroir de glace. Et à l'étrave du bateau, l'écume gelait dans l'air, retombait en pastille et glissait comme des billes de verre sur le miroir de glace.
J'ai regardé ça pendant des heures tellement c'était irréel, je suis restée là longtemps puis il a fait nuit...
J'ai vu aussi des manchots Adélie qui m'ont encore fait marrer. Je riais toute seule de les voir se prendre des gamelles (comme à leur habitude). Puis j'ai vu des manchots empereurs sortir de l'eau et venir d'un pas pressé (c'est marrant un manchot qui se presse) pour venir voir le bateau coincé dans la glace. J'ai vu 3 petits rorquals se dépêcher de « traverser la route » avant que nous arrivions. J'ai vu... pleins de choses. En fait, ce n'est pas si monotone le blanc.
Bises à tous
Marie