Debout les gars
A peine avions-nous atterri sur le continent que nous sautions dans un 4x4 qui devait nous emmener jusqu'à la base. Descente de la pente neigeuse continentale, passage devant la station de Prud'homme, la voiture ne s'arrête pas. Elle trace maintenant sur la banquise, engloutissant les 10 kilomètres qui séparent la piste d'atterrissage de la base Dumont d'Urville.
Quand nous arrivons à proximité de l'île des Pétrels, quelque chose me chiffonne mais je n'arrive pas à mettre le doigt sur le problème. Je scrute la banquise. Tout semble calme. J'ai l'impression d'arriver en hiver et que l'été n'a pas commencé. Que manque t-il ? Soudainement la question sort de ma bouche avant que j'ai eu le temps de comprendre. Où sont les manchots ? Le conducteur me répond illico : les Adelie ne sont pas encore arrivés. Mince, pour une fois que moi j'étais à l'heure.
Deux minutes plus tard, nous sommes en haut de l'île, devant le bâtiment du séjour. Je descends du véhicule et me précipite sur les hivernants que j'ai abandonnés au même endroit il y a 8 mois. J'ai l'impression d'être partie hier. Drôle de sentiment que de retrouver des gens qu'on a laissés de longs mois d'hiver sur un caillou du bout du monde... Cette fois je suis passée de l'autre côté de la barrière. Il y a 3 ans, je voyais arriver le premier hélico qui signait la fin de notre hivernage. Il y a 4 ans jour pour jour, j'arrivais pour la première fois à Dumont d'Urville, l'odeur et la cacophonie des manchots en plus. Mais là, l'air est respirable et un silence de plomb règne sur la base. Christophe, l'ornitho hivernant m'explique tout. Les Adélie sont très en retard cette année. La banquise dense semble être leur problème. Ils sont obligés de marcher longtemps avant d'arriver sur l'archipel. La première zone d'eau libre se trouve à 1oo kilomètres, contre 50 en règle générale...
C'est à ce moment là qu'on est content d'être venu par la voie des airs. Notre Astro aurait bien galéré cette fois encore; il se serait certainement cassé les dents sur la glace dure...
Puis de jour en jour, des petits points noirs ont commencé à se dessiner sur l'horizon. Des centaines de manchots Adélie venant de partout, colonisant d'heure en heure l'archipel comme nous avons colonisé la base; bousculant les manchots empereurs sur la banquise, comme nous bousculons les hivernants à table. Debout les gars, réveillez vous... l'hiver est fini.